La petite leçon d’éducation à la dure d’une «mère Tigre»
Mots clés : éducation, famille, autorité, Amy Chua
Par Agnès Leclair Mis à jour le 07/11/2011 à 15:21 | publié le 06/11/2011 à 09:00 Réactions (37)
«Mes filles me voient comme quelqu’un de très drôle, légèrement dingue et excessif. Elles craignent davantage leur père !», explique Amy Chua. Crédits photo : Rex Features/REX/SIPA/Rex Features/REX/SIPA
Amy Chua, professeur à Yale, préconise la sévérité avec les enfants. La traduction de son livre vient de sortir en France.
Paru en janvier dernier aux États-Unis et aujourd’hui publié en France, le livre d’Amy Chua sur l’éducation de ses enfants, L’Hymne de bataille de la mère Tigre, a déjà provoqué un tollé des deux côtés de l’Atlantique.
Doté d’un sens aiguisé de la provocation, ce professeur de droit de la prestigieuse université de Yale prône, dans son ouvrage, les principes d’une éducation «à la chinoise» qu’elle a appliqués à ses deux filles, Sophia et Lulu: ne jamais laisser ses enfants participer à une journée de jeux ou dormir chez des amis, exiger les meilleures notes et la première place aux classements, avoir deux ans d’avance en maths, choisir des activités parascolaires élitistes (piano pour l’aînée, violon pour la cadette) et leur consacrer plusieurs heures par jour.
L’universitaire, hantée par la peur de la décadence de sa lignée, s’amuse à bousculer au passage les principes de l’éducation occidentale actuelle. Apprendre n’est pas forcément amusant, martèle l’universitaire, comparer ses enfants entre eux pour les piquer au vif peut être efficace, les traiter de «minables» est justifié s’ils ne font pas d’efforts (en vous offrant une carte d’anniversaire bâclée, par exemple), les complimenter en public est une hérésie… De quoi déclencher une bronca mondiale contre la tiger mother!
Son humour a échappé à bien des lecteurs
«Cette tempête a été en partie provoqué par l’angoisse des Américains du déclin de leur pays et de l’émergence de la Chine. Mon récit n’aurait blessé personne s’il s’était appelé “L’Hymne de bataille de la mère roumaine”», analyse rétrospectivement Amy Chua, qui tient au passage à rétablir quelques vérités : «Dans ce livre, je décris mes pires moments en tant que mère mais je ne suis certainement pas une maman cruelle. D’ailleurs, mes filles me voient comme quelqu’un de très drôle, légèrement dingue et excessif. Elles craignent davantage leur père!» Son humour, qui transparaît à chaque page, a en tout cas échappé à bien des lecteurs. Mais au-delà de la dérision, Amy Chua reste une mère sévère et fière de l’être. Une revendication qui semble aujourd’hui presque incongrue. Dans la bouche d’une «mère Tigre» comme dans celle d’une maman lambda.
«Les autres parents trouvent parfois que je suis dure ou anachronique. Mais il n’y a pas de secret, estime Cécile, une quadragénaire mère de quatre enfants âgés de 3 à 12 ans, tous les premiers de la classe, dans le privé ou dans le public, suivent des règles strictes à la maison.» Pas de télé, pas de console de jeux, lecture obligatoire, deux heures de devoirs par jour pour les plus grands et visite de musée deux fois par mois: c’est le programme éducatif qui fait fréquemment passer cette Parisienne, chargée de clientèle, pour une «extraterrestre». «C’est désagréable de faire respecter des règles car on a le mauvais rôle, mais je sais que mes enfants seront contents plus tard, dit-elle. De plus, ces principes ne m’empêchent pas de tout faire pour qu’ils soient épanouis et de prôner une approche ludique de la culture», souligne Cécile.
Valérie, une jeune maman qui n’hésite pas à priver son fils de 10 ans de sorties avec les amis ou de distractions après une désobéissance, se heurte aussi à l’incompréhension des autres parents. «J’ose à peine dire qu’il ne peut pas aller à un anniversaire parce qu’il est puni. On me regarde de travers», glisse la jeune femme.
Le succès du livre d’Amy Chua est-il une réaction à des années de laxisme?, s’est interrogé le magazine du New York Times. «J’ai reçu des centaines de gentils mails écrits par des parents qui se sont risqués à un peu plus de fermeté avec leurs enfants après avoir lu mon livre. Ils étaient apparemment surpris des bons résultats obtenus. J’ai aussi reçu de nombreux témoignages de gens séduits par l’idée qu’il fallait parier sur la force de ses enfants plutôt que sur leur faiblesse», répond l’auteur.
L’Hymne de bataille de la mère Tigre, Amy Chua, Gallimard.
«Les parents sont devenus les servants de leurs enfants»
Questions à Aldo Naouri, psychiatre et auteur
La sévérité a-t-elle disparu ?
Chez nous, l’enfant est au sommet de la pyramide familiale depuis une cinquantaine d’années. Les parents sont devenus les servants de leurs enfants. Ces derniers sont considérés comme des génies qui vont spontanément exprimer leurs potentialités. Cette idéologie permet de se faire aimer de ses enfants et ils grandissent avec l’idée que tout leur est dû. Attention au revers de la médaille! Ce qui est délicieux à 12 mois devient plus dur à gérer ensuite.
Que pensez-vous de l’autorité version «mère tigre» ?
C’est l’excès inverse de ce que font les parents aujourd’hui dans le monde occidental. Ce livre a sans doute un certain retentissement car il dénonce en creux la façon dont on anesthésie les enfants en les gâtant et en les privant du manque, moteur du désir et du sentiment d’exister. Mais Amy Chua va plus loin. Elle ne se contente pas d’aguerrir ses enfants, elle les rend guerriers. Elle les élève pour la compétition. Certes, cette méthode produit des performances, mais il existe une voie médiane. L’autorité, ce n’est pas l’autoritarisme. Aider ses enfants à réussir, c’est les aider à s’humaniser, à maîtriser leurs pulsions et à vivre avec les autres sans pour autant les écraser. Bref, faire en sorte qu’un enfant trouve sa place.
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