Ils entrent dans la pièce et celle-ci semble s’éclairer ; ils se mettent à parler et tout le monde les écoute ; ils bougent et l’on admire alors la fluidité de leurs gestes… Sans vraiment pouvoir expliquer ce qui attire autant en eux. Prenez Barack Obama, sans doute l’un de ceux dont le nom revient le plus souvent lorsqu’on parle de «charisme». Ses fans sont-ils fascinés parce qu’il est l’homme le plus puissant de la planète ou parce qu’il dégage réellement une aura personnelle qui l’a certainement rendu éligible?
Ce genre d’énigmes – qui de la poule ou de l’œuf était là avant? – suscite de nombreuses recherches, notamment chez les conseillers en communication car, pour eux, un tel pouvoir d’adhésion pourrait bien s’expliquer… Et donc être enseigné. Selon Pascal de Sutter, psychologue spécialisé en communication politique – il a coécrit avec Hélène Risser Dans la tête des candidats (Éd. Les Arènes) -, si la capacité à attirer positivement l’attention sur soi «est essentiellement un talent inné, elle comprend une partie qui peut s’apprendre».
Pas question cependant de se fier aux quelques recettes généralistes qu’on retrouve à foison dans toutes sortes de manuels ès «leaderships». «Les techniques, si elles ne sont que des recettes toutes faites, une sorte de “prêt-à-porter”, n’apportent rien. Une méthode de séduction n’est efficace que si elle relève de la haute-couture», affirme le psychologue. Pas question de chercher à transformer un inhibé en orateur débridé, ni de masquer la fantaisie d’une personnalité pour obtenir une image plus «sérieuse». Le charisme, quand il irradie, naît de la part la plus profonde et la plus singulière de la personne.
Le grain de voix
Autre donnée: si la manière de parler est déterminante dans le charme de quelqu’un, notamment en termes de clarté des paroles, d’articulation claire, etc., c’est surtout le grain de voix qui fera la différence. Ainsi, il a été observé que celui qui baisse le ton de sa voix lorsqu’il fait un discours obtient 30 % de plus de suffrages féminins. «Sur cette dimension vocale, Barack Obama marque de nombreux points: il parle avec une voix grave et lentement, observe Pascal de Sutter. Des attitudes qui intensifient l’attention du public.»
Mais on ne saurait réduire le charisme au seul talent d’élocution. Le lien subtil et la congruence entre les paroles de la personne et toute son expression non verbale marqueront la différence: «Lorsque Bill Clinton a dit au peuple américain “je regrette ce qui s’est passé avec Monica Lewinsky”, tout son visage exprimait la honte, rappelle Pascal de Sutter. Alors que Dominique Strauss-Kahn avouant au journal télévisé “avoir fait une faute” exprimait corporellement une tout autre opinion sur lui-même et l’acte qu’il avait commis.»
On comprend alors le rôle primordial des émotions chez les personnes charismatiques. «C’est leur intelligence émotionnelle qui l’emporte, estime le Dr Stéphanie Hahusseau, qui vient de publier Authentique si je veux! (Éd. Armand Colin), c’est-à-dire leur aptitude à rester proche de leur ressenti pour avoir un discours vivant, tout en gardant le contrôle de ce qu’elles produisent, explique cette spécialiste des émotions. On appelle cela la présence.»
Capacité d’empathie
Serait-ce alors du contrôle, cette capacité à «vibrer» tout en ne se laissant pas déborder par trop d’affects? «Cela requiert certainement de l’entraînement, précise le Dr Stéphanie Hahusseau. Il s’agit pour celui qui s’expose souvent et doit convaincre, de rester conscient de ses sensations physiques et, ainsi, quelle que soit la situation, de l’état dans lequel il est».
Cette «conscience de soi» n’a pourtant rien d’égocentrique: une personne charismatique sait étonnamment capter ce que ressent son auditoire. «Elle saisit de manière intuitive si ses interlocuteurs décrochent ou pas, explique Pascal de Sutter. En ce sens, les charismatiques ne sont pas seulement bons pour émettre des informations, mais aussi pour percevoir celles que leur envoient les autres.» Résultat, cette impression qu’ils laissent sur leur passage: «Toute personne à leur contact a l’impression d’avoir été la seule privilégiée à qui ils se sont adressés.»
Cette capacité d’empathie a une autre source: l’histoire de vie. La plupart des personnalités charismatiques ont dû compenser un défaut physique, une faille, et surmonter certaines épreuves pour «se remettre à niveau». C’est François Bayrou poussé par son bégaiement à communiquer deux fois plus avec les autres, Bill Clinton voulant fuir la violence de son beau-père, Fabrice Luchini cherchant par la littérature à échapper à son quotidien d’apprenti coiffeur. Transcendant leur condition, ils ont aussi évité de développer le trait de caractère que les psychologues considèrent comme anti-charismatique entre tous: l’arrogance.