Dans LES MOTS DE MA VIE paru en 2011, Bernard Pivot parle de la vieillesse.

Pour l’avoir croisé récemment, je peux vous assurer que, passé 70 ans, c’est un jeune homme avec toute la fougue, la démesure et la répartie agile que cela comporte.  C’est un curieux et un provocateur.  Comme l’était Eddy Marnay que j’appelais mon poseur de bombes.

Après le pétillant « Oui, mais quelle est la question » de l’an dernier, il sort un recueil de ses tweets!  C’est un « maître ès-tweets » comme le qualifie un journaliste du Figaro!

J’écoutais Francis Huster ce matin, à THÉ OU CAFÉ, il a 65 ans, n’a jamais été aussi abouti, aussi beau et intense, avec un recul et une assurance nouvelle.  Toute une vie au service du théâtre, du jeu, lui ont appris à ne pas se prendre au sérieux.  Il avance, il s’entoure de jeunes, il est apaisé et sans doute heureux.  Et il n’a jamais eu autant de projets à la fois, passant du théâtre au cinéma à la mise en scène d’un opéra de Mozart!

Le temps passe vite?  Certes.  D’où l’importance d’en faire quelque chose d’agréable et de valable, si faire se peut.

L’âge, c’est dans le regard de l’autre que ça se confirme.

« Vieillir, c’est chiant.

J’aurais pu dire : vieillir, c’est désolant, c’est insupportable,
c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui
ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et
l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.
On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans,
c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein
de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes,
des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus
comme un des leurs, même apparenté, même à la
marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais
d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.
Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.
Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.
“Avec respect”, “En hommage respectueux”, “Avec mes sentiments très respectueux”.
Les salauds! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo
plein de respect? Les cons!
Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et
Lettres qui vous fiche dix ans de plus !

Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me
donner sa place. J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé
si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.
– “Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que”
— Moi aussitôt : «Vous pensiez que…?
— “Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir”.
– “Parce que j’ai les cheveux blancs”?
– “Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi,
ç’a été un réflexe, je me suis levée”…
— “Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous”?
– »Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge”…
— “Une question de quoi, alors?”
– “Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois”…»
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai
accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.

Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise,
ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis
rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du Concerto no 23
en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur,
musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés
les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite,
soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital.
En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous
reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes
capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le déluge? Non, Mozart.

Voilà, ceci est bien écrit, mais cela est le lot de tous, nous vieillissons !…
Bien ou mal, mais le poids des ans donne de son joug au quotidien. »

C’est pas beau ça?

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