Magnifique texte, si vrai.

Moi aussi je travaille dans ma cuisine, mais la mienne est plus grande et oui, il y a des victuailles pour tenir un siège.

Elle écrit bien Louise!  Un ton « Plateau » que je ne pourrais pas définir mais qui me plaît infiniment.   Ses billets d’humeur sont toujours justes et vivants et colorés.  Comme elle.

Et j’aime ça.

Je retourne à ma copie pour Vegas…  Ça Presse… (…) (Facile, je sais)

Merci Louise!  Merci Micheline d’avoir partagé!

Le partage, elle en parle, tout est là n’est-ce pas?

Dans ma cuisine…

Louise Latraverse Collaboration spéciale La Presse +

Oui, c’est dans ma cuisine que j’ai trouvé refuge durant ce mois mortuaire.

Le début de l’hiver a été clément, mais n’a pas oublié janvier ! Il est clair qu’il ne voulait pas être négligé. Il voulait exister en roi ! Roi de la déprime, s’il en est ! On a beau vouloir être optimiste, il a fessé fort sur notre moral. Il a accumulé plus de mauvaises nouvelles que de neige, qui est son premier mandat.

On s’est enfermé dans nos maisons pour broyer nos peines. Je ne me souviens pas d’un mois aussi chargé de disparitions de personnes qu’on aimait, qu’on admirait, qu’on connaissait parfois et qui ont marqué nos vies. De deuil en deuil, on encaissait, médusé, profondément triste.

C’est dans ma cuisine que j’ai tué le temps. Je n’ai pas à préparer trois repas par jour pour une famille. Je ne suis même pas forcée de cuisiner du tout. Si je choisis de le faire, ça ne découle pas d’une obligation. Je cherche seulement à me réconforter. Il y a toujours un lieu dans une maison où les murs et ses objets sont plus inspirants que d’autres. Plus jeune, je me recroquevillais dans mon lit, à l’abri dans ma chambre, mon palais. Personne n’avait le droit d’y entrer. Je pouvais y passer des journées entières au grand désespoir de ma mère.

Ma cuisine est grande comme un garde-robe et le monde entier m’y accueille. Souvenirs de voyage dans ma ville et ailleurs. Mes épices rangées dans des boîtes de métal indiennes avec de petits contenants à l’intérieur où logent curcuma, graines de moutarde, de cumin, de fenouil, de poivre, de coriandre, de cardamome et de poudre de chili pour mes currys. Sur des tablettes, juste au-dessus du micro-ondes, des épices d’autres pays, des sauces chinoises, coréennes, japonaises, sud-américaines et louisianaises me zieutent du matin au soir et me tirent de ma léthargie. Veux, veux pas, elles me poussent à cuisiner. L’action a du bon, quand le cœur est lourd !

Ma table à manger est adjacente à ma petite cuisine. Quand je suis triste, je la trouve bien loin de mon profit. Je tire un banc pour me rapprocher de mon comptoir. Je m’y installe pour manger, rêvasser, lire. Scotchée dans ma cuisine, je me répare. De là, je peux entendre la télé, si je décide de l’ouvrir.

J’ai commencé à faire du caramel juste avant les funérailles de René Angélil. Je me suis levée pour aller voir l’entrée de Céline dans la basilique et ce qui devait arriver arriva.

J’ai oublié le caramel qui s’est répandu jusque dans les entrailles de ma cuisinière et les fissures de mon plancher de bois. Je suis retournée nettoyer le désastre en pensant à toutes ces veuves et à leur chagrin. À genoux, comme dans une prière, implorant le ciel pour que s’arrête cette hécatombe  ?

J’allais chercher des livres de recettes exotiques que je lisais comme on lit un roman. Je m’y perdais en écoutant la radio. J’apprenais que Michel Tournier était parti, lui aussi, en nous laissant Le roi des Aulnes. Merci. Tout me revenait de ce livre qui m’avait émue aux larmes. Je m’affairais en écoutant du Bowie. Je préparais de la bouffe pour ceux que j’aime. J’étais devenue ma mère, ma grand-mère, toutes mes tantes qui nous consolaient, enfants, avec leur « bon manger ». Je continuais.

Une amie est arrivée, samedi matin, avec un livre de cuisine iranienne. On est reparties de plus belle à faire la liste des aliments pour préparer le khoresh aux prunes, en nous racontant nos peines. J’ai passé une grosse partie de ma vie à fouiller la ville comme une archéologue pour y découvrir ses trésors. Je répète à mes amis que si une guerre se déclare, ils peuvent venir se réfugier ici. Y a de la bouffe pour un bon bout !

Je n’ai jamais aimé l’expression « Manger ses émotions ! ». Je nous imaginais la morve au nez. Dégoûtant ! Si je fais abstraction de l’image, je n’ai qu’à me souvenir des funérailles de mon enfance. Les maisons se remplissaient de victuailles pour recevoir la parenté. On pleurait et on festoyait en même temps, pendant des jours ! Aujourd’hui, même seule dans ma cuisine, ce vieux réflexe m’anime. Le four se fait aller, la farine revole sur le comptoir, le beurre frémit dans la poêle. Je respire à nouveau. La porte et le cœur ouverts, comme dans l’temps !

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