«Matériel»

C’est de ce mot que le «libertin» Dominique Strauss-Kahn désignait les prostituées dans des SMS envoyés à ses amis des «parties fines» qu’ils organisaient pour leur idole, candidat espéré à la présidence de la République française et à l’époque grand patron du FMI. «Matériel», un choix de mot «pas très sophistiqué», a-t-il admis devant les policiers qui l’interrogeaient alors. C’est bien connu, les Français éduqués ont toujours des problèmes de vocabulaire. Les mots ne sont jamais innocents. On en veut pour preuve l’adoption généralisée de l’expression «travailleuses du sexe». Mise en avant aussi par des féministes angéliques sous prétexte de ne pas accabler ces femmes victimes ou victimisées, elle banalise cette forme d’esclavage, et ce, sous les applaudissements discrets de tous les proxénètes et mafieux de la planète.

Faut-il s’étonner que DSK, grand consommateur de prostituées et agresseur sexuel de top niveau, «échappe» le mot «matériel», qui exprime exactement sa pensée à l’endroit de ces femmes, objets sexuels qu’il déshumanise pour mieux en abuser? Est-on surpris que la culture machiste française ait choisi les mots «libertin» et «parties fines» pour désigner des harceleurs et exploiteurs sexuels se défoulant dans des bouges haut ou bas de gamme au cours d’activités orgiaques contre argent sonnant? À vrai dire, toute conception romanesque de l’exploitation sexuelle se fait au détriment de victimes, femmes et enfants au premier chef, et au profit de consommateurs assoiffés de «matériel».

Doit-on aussi se surprendre qu’en Ontario, la province où a failli sévir la charia en lieu et place de notre droit pour régir les conflits entre couples musulmans et la garde de leurs enfants, et ce, avec la bénédiction de féministes patentées, en Ontario, donc, la Cour d’appel, dans un jugement unanime, invalide les dispositions du Code criminel interdisant de tenir des maisons de débauche et de vivre du fruit de la prostitution, sauf s’il y a exploitation, est-il précisé? Il faut être reconnaissant au Conseil du statut de la femme du Québec d’avoir immédiatement condamné ce jugement. Pour notre Conseil, la prostitution n’est pas un travail mais un esclavage et une exploitation des femmes. Le Québec, société distincte, prend ici son sens le plus noble.

Les «travailleuses du sexe» revendiquent leur statut haut et fort, mais l’on peut mettre en doute leur combat sans les accabler ou les condamner moralement. La prostitution, dans sa réalité et non dans les fantasmes qu’elle suscite, relève de l’exploitation et a toujours été un esclavage. Le commerce du sexe depuis la nuit des temps dépouille les femmes de leur dignité et de leur intégrité. Et qu’est-ce donc que cet argument massue en faveur de la législation de la prostitution au seul fait de l’existence du «plus vieux métier du monde»? La peine de mort, la torture, la pédophilie, le meurtre existent aussi depuis des millénaires. Grâce à des luttes séculaires inspirées par les philosophes qui magnifiaient l’homme et le sacralisaient en quelque sorte, nous en sommes arrivés à combattre ces pratiques barbares et régressives dont on sait, hélas, qu’elles perdurent. La prostitution, dont les naïfs prétendaient qu’elle diminuerait, du moins en Occident à cause de la révolution sexuelle, n’est pas freinée. Il s’agit donc de l’encadrer par des législations protégeant avant tout les victimes que sont les prostituées elles-mêmes.

Des femmes choisissent sciemment de se prostituer, comment le nier? Le lucre n’est pas réservé qu’aux hommes. Cependant, c’est un «métier» qu’on ne choisit pas parmi d’autres. Et nous voilà renvoyés dans les abysses du mystère de la sexualité humaine. Vendre son corps, l’exposer aux outrages d’hommes tordus ou frustrés ou impuissants, surmonter un dégoût inévitable, un sentiment enfoui de dégradation, relèverait-il du travail au même titre que d’être caissière, secrétaire, institutrice? Comment peut-on débattre de la sorte en départageant le pour et le contre tout en revendiquant par ailleurs l’égalité des sexes?

Les Suédois, à ce jour, ont répondu de la façon à la fois la plus réaliste et la plus respectueuse à ce problème. Ils ont décriminalisé les prostituées qu’ils souhaitent aider à se réhabiliter et ils criminalisent les maisons de débauche et les clients. La décision de la Cour d’appel de l’Ontario, certainement inspirée par le féminisme particulier de la province qui appuyait l’adoption de la charia dans le passé, se veut moderne et progressiste. Mais n’indiquerait-elle pas plutôt une dérive du progrès, une ignorance des conséquences de l’institutionnalisation des maisons closes transformées en PME et sous le contrôle des proxénètes locaux ou internationaux? Mais avant tout, ce jugement est la démonstration des limites du droit en matière d’encadrement d’activités sexuelles.

À notre époque de liberté des moeurs, alors que les femmes revendiquent leur sexualité hors mariage, les hommes continuent d’aller au bordel, des prostituées s’affichent comme «travailleuses du sexe» et féministes pendant qu’est dénoncée l’exploitation sexuelle des femmes ailleurs sur la planète entière. Les mères-maquerelles ont toujours existé, mais la prostitution avec ses règles, ses lois, ses codes, son vocabulaire, est depuis des siècles définie par des hommes. Quelles femmes auraient inventé l’expression «parties fines» pour décrire un rituel qui les transforme en «matériel» pour le bon plaisir des hommes? Des prostituées revendiquent un statut de «travailleuses» dans une quête de reconnaissance sociale. Mais cela ne change pas la nature de la prostitution, qui demeure la forme la plus répandue de l’esclavagisme moderne.

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