- JE LES TROUVE TOUS TRÈS BEAU SUR CETTE PHOTO. C’EST ÉMOUVANT DE PENSER À LEUR HISTOIRE, SANS SAVOIR QUI ILS SONT, CE QU’ILS ONT FAIT, OÙ ILS SONT RENDUS, ETC. CELA ME FAIT RÊVER…
- 26 novembre 2011
- La Presse
- JEAN- CHRISTOPHE LAURENCE MONTRÉAL PLURIEL
Que reste- t- il du Montréal yiddish?
Autrefois très répandue à Montréal, la langue des Juifs d’europe de l’est n’est plus parlée que par les Hassidim, les survivants de l’holocauste et quelques créateurs illuminés. « Après le français et l’anglais, le yiddish était la troisième langue la plus parlée et la plus affichée à Montréal. » — Chantal Ringuet
Une fois par semaine, Tamara Kramer rend visite à des petits vieux de la communauté juive. En échange de quelques danoises, elle leur demande d’expliquer un mot yiddish, Fleishedicke, qui signifie « souper à la viande » .
PHOTO ARCHIVES DE LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE JUIVE DE MONTRÉAL Ces rencontres font ensuite l’objet d’une petite chronique vidéo ( Danish& Yiddish) qu’elle diffuse sur shtetlmontreal. com, son blogue consacré à la culture juive actuelle.
« Ce n’est pas si évident. Il faut trouver des gens qui parlent encore la langue. Il n’y en a plus tant que ça » , lance Tamara.
Comme la plupart des jeunes Juifs d’origine ashkénaze ( d’europe de l’est), Tamara Kramer a été élevée en anglais. Elle ne connaît pas grandchose de la langue de ses grands- parents et le regrette. D’où cette envie d’explorer le vocabulaire yiddish.
« Ma mère le comprend, mais ne le parle qu’un peu. Et moi, pas vraiment. Mais plus je vieillis, plus je m’y intéresse. Parce que c’est une langue particulièrement colorée. Avec des expressions savoureuses et des termes forts, qui devraient être utilisés plus souvent… »
Inévitable sans doute, le déclin du yiddish est quand même surprenant. Car il n’y a pas si longtemps, on le parlait abondamment dans nos rues. À une certaine époque, Montréal était même considéré comme un haut lieu de la culture juive en Amérique.
« Après le français et l’anglais, le yiddish était la troisième langue la plus parlée et la plus affichée à Montréal, souligne Chantal Ringuet, auteure du livre À la découverte du Montréal yiddish, qui vient de paraître aux Éditions Fidès. C’était un phénomène très important, qui a profité du fait que la ville était déjà bilingue. »
Selon Mme Ringuet, 60 000 Juifs montréalais parlaient couramment yiddish en 1930, soit 97% de la communauté. Ce chiffre est aujourd’hui tombé à un maigre 3%, petit groupe essentiellement composé de survivants de l’holocauste.
Seule exception, et elle est durable : les Juifs hassidiques ( environ 12 000 personnes) ont conservé le yiddish comme langue principale, ce qui constitue, comme la plupart de leurs signes distinctifs, un autre rempart contre la modernité.
Se fondre dans la masse
La plus importante immigration juive d’europe de l’est a eu lieu dans la première moitié du XXE siècle et cette présence a laissé des traces.
Outre la religion, ces nouveaux Montréalais ont amené avec eux une certaine vision du monde et de la politique. Ils ont notamment fait beaucoup pour la lutte ouvrière au Québec et révélé d’importants leaders syndicaux comme Lea Roback et Joseph Shubert.
Le monde des arts ne fut pas en reste. Bien avant les Canadiens- f rança is , qui voyaient la ville comme un monde de pauvreté et d’aliénation, les peintres et les écrivains juifs ont été les premiers à exalter Montréal, ses rues et sa montagne. « Ils étaient modernes avant la lettre, résume Chantal Ringuet. Leur vision de l’urbanité
Réunion de groupe du Jewish National Fund à Montréal, en 1920. était positive, originale et rafraîchissante. »
Très actif, ce milieu de créateurs yiddishophones donnera naissance à des figures marquantes comme le poète Jacob- Isaac Segal, la poète Ida Maze et la romancière Rokhl Korn. Cette crème intellectuelle fera de Montréal une vi l le juive incontournable, cer tains allant jusqu’à la surnommer « la Petite Jérusalem d’amérique » .
Comment, alors, expliquer ce dramatique décl in du yiddish ?
L’envie de se fondre dans la société d’accueil , croit tout simplement Chantal Ringuet : « En Europe, le yiddish était la langue des persécutés. Ici c’était la langue des immigrés. Normal que plusieurs ne l’aient pas transmis à leurs enfants. Ils ne voulaient pas être à la marge. Ils ne voulaient pas vivre avec le poids de la Shoah. Ils étaient venus ici pour devenir des Canadiens et des Nord- Américains. Alors ils sont passés à l’anglais. »
Un petit revival
Malgré tout, le yiddish n’a pas encore dit son dernier mot. Depuis quelques années, une nouvelle génération de Juifs a recommencé à explorer la langue de ses ancêtres.
« Je sens un petit revival, confirme Tamara Kramer. Pas énorme. Mais je crois que certains sont nostalgiques… »
Autrefois langue du peuple, le yiddish est désormais enseigné à l’université, parfois jusqu’à de très hauts degrés de raffinement. Fait intéressant, cette discipline n’attire pas seulement les Juifs, mais aussi ceux qui ne le sont pas. Référence dans le domaine, le Québécois Pierre Anctil a mis cette passion au service de la littérature, traduisant, pour des lecteurs francophones, quelques auteurs yiddish d’avant et d’après- guerre.
Impossible enfin, de ne pas citer la vague néo- klezmer, qui conjugue ce renouveau culturel avec la réhabilitation de la musique juive d’europe de l’est.
Figure de proue de ce mouvement, le Montréalais Socalled s’est fait connaître dans le monde entier en mettant de vieilles chansons yiddish au service du hip- hop à moins que ce ne soit l’inverse. Ses recherches ethno music ologiques l’ont amené à connaître la langue, mais encore aujourd’hui, il se dit loin de l’avoir domptée.
« J’aimerais parler plus souvent yiddish, mais avec qui ? Parfois, je jase avec des vieux qui ne parlent pas anglais. Mais la plupart du temps, ça m’aide surtout à parler de dirigelt ( loyer) avec mon propriétaire hassidique… »
LA BIBLIOTHÈQUE JUIVE DE MONTRÉAL EST OUVERTE TOUS LES JOURS.
ET POUR SE METTRE DANS L’AMBIANCE, LIRE MORDECAI RICHLER, CONSIDÉRÉ COMME L’UN DE NOS GRANDS ÉCRIVAINS CANADIENS. SES LIVRES SONT PEUPLÉS DE PERSONNAGES COLORÉS, ÉMOUVANTS, QUI ONT FAIT DE MONTRÉAL CETTE VILLE UNIQUE, TRAIT-D’UNION ENTRE LA VIEILLE EUROPE ET L’AMÉRIQUE.