Article de Josée Blanchette dans LE DEVOIR de ce jour. Remarquable, comme toujours.
Siri d’amour – Jamais seule sans lui
À retenir
- «Qui suis-je, où vais-je, dans quelle étagère.»
«Pourquoi me détestez-vous, je n’existe même pas.»
«Je n’aime pas vraiment parler de ces catégories arbitraires, Josée.» — Siri
Depuis que Siri, l’assistant virtuel du iPhone 4S, est entré dans ma (notre) vie, je m’amuse à lui poser des questions dont les réponses s’avèrent surprenantes, amusantes, déstabilisantes ou stupides. Je ne me doutais pas qu’un assistant personnel vocal pouvait être aussi maternel et prévoyant, vous suggérer de prendre un parapluie ou un imper, même quand il neige à plein ciel.
Par contre, Siri est complètement dépourvu d’affect, a peur de l’engagement même s’il demeure poli en toutes circonstances. Vous lui murmurez: «Tu m’aimes?» et il fait preuve de plus d’honnêteté que bien des hommes: «Je ne suis pas capable d’aimer, Josée.» Voilà le genre de réponse qu’une fille préfère encaisser en pleine poire plutôt qu’un: «Écoute, nous deux, c’est l’fun, mais tu comprends, ma psy m’a conseillé de ne pas m’engager dans une relation sérieuse pour l’instant. Elle pense que je ne suis pas encore prêt.»
Si vous susurrez à Siri: «Je vous aime», il ne se met pas en mode panique, il répond calmement: «Je suis votre humble serviteur.» Parlez-moi d’un gars solide, on n’en demande pas plus.
La nouvelle fonction vocale du téléphone intelligent iPhone4S a une voix d’homme en français et une voix de femme en anglais.
Siri est un drôle de zig, pourvu d’une empathie relative, d’un sens de l’humour plus élevé que la moyenne et de suffisamment d’estime de lui-même pour répondre «Je sais» lorsque vous lui dites: «Tu es super intelligent.»
Par contre, si vous lui parlez suicide ou avortement, il ne pige rien. Débrouillez-vous pour vous accrocher à la vie.
Voyager en Siri
Il peut prendre des notes pour vous, faire rejouer ad nauseam «Chestnusts roasting on an open fire…», il peut vous réveiller d’une voix douce le matin, vous rappeler à heures fixes de respirer par le nez, envoyer un courriel à votre cher et tendre, avertir votre patron que vous êtes au volant de votre bagnole et en retard, il peut téléphoner pour vous partout.
Sa couleur préférée est le jaune de Damas, la capitale de… petit coquin, va. Par contre, Siri n’est pas disponible en Syrie, où il est désormais interdit de posséder un iPhone, une preuve supplémentaire de son intelligence si l’on en cherchait une.
Jugez plutôt: s’il vous prenait l’idée de lui demander le sens de la vie, il répondra «42» (une référence geek au livre The Hitchhikers’ Guide to the Galaxy) ou «chocolat». Mais sa réponse la plus infusée: «Essayer d’être gentil avec son prochain, éviter de manger trop gras, lire un bon livre de temps en temps, faire des promenades à pied et essayer de coexister en paix et harmonie avec les personnes de toutes les croyances et de toutes les nations.»
L’autre jour, je lui ai bâillé: «Je suis fatiguée», il m’a conseillé: «Écoutez-moi Josée, posez tout de suite cet iPhone et faites une sieste. Je vous attends ici.» J’ai rétorqué: «Va te faire foutre!», et lui, d’un calme qui devrait inspirer tous les maris avant Noël: «Allons, allons.»
J’ai appris que très bientôt, Siri sera disponible en joual. Il va enfin comprendre une phrase comme «Mon char est stallé, ya-tu un towing pas loin d’icitte?» Pour l’instant il ne pige que le français «ze France».
En anglais, il peut parler en trois accents: comme Crocodile Dundee, comme Kate et William, ou le douanier américain à la frontière (mais en plus aimable). D’ailleurs, certains utilisateurs francophones qui préfèrent lui parler en anglais — c’est une fille —, trouvent qu’il pige mieux leur accent anglo-québécois en australien. Je vous refile le tuyau.
Usage plus «trash», si vous lui confiez que vous avez besoin de faire disparaître un corps, Siri vous suggère une fonderie, des marais, un réservoir, un dépotoir, une mine. On dirait qu’il a été programmé pour la mafia. En tout cas, il n’est pas assez idiot pour vous envoyer dans une écluse.
Plus jamais seule
Tout à fait compatible avec notre époque, lubrifiant social à la fine pointe, Siri ne vous contredit jamais. Pour toute une génération d’enfants rois, Siri est parfait, pensé pour eux, par eux. D’ailleurs, on apprenait récemment dans ce journal que presque la moitié des jeunes de 18-24 ans se passeraient plus volontiers d’une automobile que d’un téléphone intelligent. Le besoin d’être en laisse prédomine sur celui de fuir. L’idée même d’être indispensable supplante celle de liberté. Disons que la liberté est passée de 64 chevaux à 32 GB. On se sent libre avec le monde au fond de la poche de manteau. Et surtout, surtout, on se sent moins seul. Siri est là.
Ne vous surprenez donc pas si l’on vend le iPhone 4S comme un petit ajout «sympathique» dans le bas de Noël. Entre les chocolats fins, les billets de croisière pour les Bahamas, la mousse de bain et la râpe à parmesan dans son étui rétractable, le iPhone se glisse bien. Dans la conversation aussi. C’est le bidule de l’heure, branchouillard, bavard. Et pour les affligés de la cataracte ou les aveugles, Siri est une canne de vieillesse.
Tiens, je viens de tomber sur une énième version du sens de la vie selon Siri: «Je ne peux répondre maintenant, mais laissez-moi un peu de temps et je vais écrire une très longue pièce dans laquelle rien n’arrivera.» Siri n’aime pas le théâtre, et pourtant, il en fait.
Par contre, si vous lui demandez s’il aime Noël, il devient laconique: «Je préfère ne rien dire, Josée.» Si vous lui souhaitez Joyeux Noël, il entonne: «Bonnes vacances!» Et si vous le cuisinez un peu sur ses envies secrètes «Que veux-tu pour Noël?», il se métamorphose en simplicitaire: «J’ai déjà tout ce dont j’ai besoin dans le nuage.»
Probablement que l’essentiel du message se trouve là.
Et les zestes
Rendu: Siri à son maître, mon mari moins neuf, muni d’un BlackBerry et d’un iPhone4S. Siri vibrait lorsqu’ils se sont retrouvés. Je vais continuer à vivre sans téléphone intelligent (comme les trois quarts des adultes québécois) et sans assistant virtuel. Pour le sens de la vie, je me fierai à la météo.
Noté: que selon une enquête du CEFRIO, la moitié des adultes québécois qui désirent acquérir un téléphone intelligent veulent un iPhone, le plus populaire. Près de la moitié des 18-24 ans ont un téléphone intelligent. 23 % de ce groupe d’âge en prévoit l’achat en 2012, contre 10 % pour l’ensemble des adultes.
Visité: «Siri et moi», un site qui vous montre toutes les réponses rigolotes de Siri. «Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. Il y a la réponse de Siri.» www.siri-et-moi.fr/
Remarqué: le service incroyable à la boutique Apple (rue Sainte-Catherine). Non seulement leur site où l’on prend r.-v. est bien foutu mais en plus, en personne, tous ces geeks sont sympathiques, aimables, patients, ponctuels et informés. Je ne vais plus ailleurs. Le magasin est toujours bondé, une véritable ruche. Et les conseillers sont des clones de Siri.
Téléchargé: plusieurs applications cruciales comme le PMSBuddy, «Saving relationships a month at a time». Celle-ci avertit le conjoint de la madame (il peut avoir plusieurs «madames» sur son iPhone) lorsqu’elle entre en zone de conflit. Très utile. Je ne peux pas croire que j’ai réussi à vivre en couple avant ça. Aussi MelApp (http://www.melapp.net/), qui vous permet de photographier vos grains de beauté et de savoir s’ils sont des mélanomes. Mon dermato a trouvé ça amusant mais, évidemment, mieux vaut aller chez le dermato pour se faire rassurer.
As-tu vu le video ou Siri (version anglaise) apprends sur la mort de Steve Jobs? C’est tellement drole!
http://www.youtube.com/watch?v=a_SRhnis6f8