1868-1917
THÉÂTRE Un beau spectacle évoque Rafael Padilla,
premier artiste noir des scènes françaises.
Henri de Toulouse-lautrec l’a immortalisé en 1896 et c’est d’abord par cette très belle image que l’on connaît Chocolat. Saisi de trois quarts dos, casquette vissée sur le crâne, une main à la taille, un bras relevé en corolle, c’est Chocolat dansant au Irish American Bar.
Le grand public l’a oublié et l’on croit toujours que la délicieuse Joséphine Baker fut la première star noire de Paris. Or, bien des années plus tôt, à la Belle Époque, Rafaël Padilla connut un succès extraordinaire. Sa vie fut un roman. Enfant d’esclaves à La Havane, il a 12 ans lorsqu’il est vendu à un marchand portugais qui lui fait traverser l’atlantique et le conduit jusqu’à Bilbao. Il grandit là, valet de ferme, groom, mineur… Jusqu’au moment où il est engagé dans un cirque… C’est qu’être noir alors en Europe, c’est être un phénomène… Il était arrivé à Paris à l’automne 1887. Il avait 18 ans et ne parlait pas français. Le hasard le mit sur les pas de Foottit, clown anglais du Nouveau Cirque, qui cherchait un partenaire et convainquit le directeur de l’engager…
Vogue de l’exotisme
Clown blanc, clown noir… Auguste des îles en pleine vogue de l’exotisme nourrie des expositions universelles, coloniales… Clown blanc autoritaire et son souffre-douleur… Cela vous rappelle quelque chose? Jusqu’à Beckett, souligne Gérard Noiriel, auteur de la pièce que met en scène Marcel Bozonnet (1) et d’une biographie (2) passionnante qui resitue ce destin dans l’époque. L’homme de théâtre et l’historien de l’immigration ont travaillé ensemble pour faire de la vie de Rafaël un spectacle.
Avant eux, Franc-nohain avait dès 1907 recueilli l’histoire extraordinaire dans Mémoires de Foottit et Chocolat. Danseur éblouissant, il devint la coqueluche du Tout-paris. Les frères Lumière le filmèrent, Colette, Jean Cocteau parlèrent de lui. Il inspira Debussy. Tout cela est évoqué avec beaucoup d’intelligence et de grâce dans Chocolat, clown nègre, spectacle qui emprunte au cirque, au cinématographe, au théâtre, à la chorégraphie et dans lequel Rafaël est interprété par un tout jeune comédien en première année du Conservatoire, gymnaste de haut niveau, Yann Gaël Elléouet.
Mais, alors que l’affaire Dreyfus éclate, Chocolat ne faisait plus rire. On l’oublia. Firmin Gémier fit un peu travailler Rafaël au théâtre. Mais c’est dans la misère qu’il mourut à Bordeaux, en 1917, et fut jeté à la fosse commune. 1. Les 9 et 12 mars dans des collèges de Paris, du 14 au 18 mars aux Bouffes du Nord, puis à Auch, Caen, Meylan. 2. « L’histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française», Bayard (21 €). Le 1er mars en librairie.
http://www.francetv.fr/culturebox/une-piece-rehabilite-chocolat-1er-artiste-noir-en-france-81544