La France aura un nouveau paquebot portant son nom en 2015. Ce navire de luxe, qui sera construit à Saint-Nazaire, doit être la vitrine du savoir-faire et de l’art de vivre à la française. Le Figaro Magazine vous fait découvrir ce projet. Visite guidée.
Dans sa salle à manger privée donnant sur les cuisines du Plaza Athénée, avenue Montaigne à Paris, Alain Ducasse se penche, attentif, sur les plans déroulés devant lui. Il ne s’agit pas d’un nouveau restaurant qu’il ouvrirait à Miami, Singapour ou Dubaï, mais des plans d’un bateau. 17 ponts, 260 mètres de long, 640 passagers, 8 restaurants… Le projet est ambitieux et le chef le plus étoilé du monde aime les idées téméraires: «Il n’y en a pas tant que cela en France aujourd’hui…», ironise-t-il. Il s’agit de construire un grand paquebot français, héritier de l’ancien France, démantelé en Inde et dont il ne reste que le nez, posé telle une relique des grandeurs passées au bord de la Seine. «Ce projet d’un nouveau France a du sens, poursuit Alain Ducasse. Il n’est pas tourné vers le passé mais s’inscrit dans une dynamique de création et d’imagination. C’est pour cela que j’ai accepté d’orchestrer la conception des huit restaurants qui donneront à bord une idée précise de l’art de vivre à la française», résume-t-il.
En face de lui, l’instigateur du projet, Didier Spade, boit du petit-lait. Depuis deux ans, cet héritier d’une famille de décorateurs de paquebots, propriétaire de Paris Yacht Marina, remue ciel, terre et mer au service de sa folle ambition. Il a fallu obtenir l’autorisation d’utiliser le nom «France», puis convaincre les chantiers de Saint-Nazaire, «car il n’était pas question de construire un nouveau France ailleurs qu’en France», déclare Didier Spade. Jacques Hardelay, directeur des chantiers, a très vite adhéré à l’idée: «Pour STX, ex- Chantiers de l’Atlantique qui ont construit le Normandie et le France, et qui depuis dix ans n’ont plus de commandes de paquebot sous pavillon français, c’est un symbole fort», justifie-t-il.
Le nouveau France sera un grand navire du XXIe siècle, héritier des célèbres transatlantiques. Sa ligne moderne s’impose comme un clin d’œil à son ancêtre. Il a repris notamment les deux cheminées qui caractérisaient sa silhouette, mais en y intégrant les cabines et les suites de luxe. «En juin dernier, les ingénieurs de Saint-Nazaire ont validé les aspects techniques et réglementaires du navire, détaille Didier Spade. Je désirais un bateau qui soit proche de l’eau et ce n’est pas si facile à réaliser. Cela peut paraître absurde, mais les gens qui ont déjà goûté aux plaisirs de la croisière le savent: les nouveaux paquebots enferment souvent leurs passagers loin de la mer plutôt qu’ils ne les en rapprochent.»
L’arrière du navire a été pensé comme celui d’un yacht, se terminant par une marina ouverte sur l’eau. Les voyageurs pourront aussi s’aventurer à la proue, ce qui est rarement le cas sur ce type d’embarcation. Avec un faible tirant d’eau, le nouveau France se glissera dans des sites inaccessibles pour les énormes paquebots de croisière actuels, assure son créateur.
Trois cents suites décorées par les meilleurs créateurs français, huit restaurants signés Ducasse, deux piscines, un spa, un casino, une école de cuisine… le nouveau «France se veut l’ambassadeur des talents français à travers le monde. (DR)
Depuis quelques semaines, une nouvelle étape a commencé pour Didier Spade : celle de la conception des aménagements intérieurs. «Je désirais attirer les créateurs qui imposent le nouveau style français à travers le monde et cela avance bien», confie-t-il sourire en coin, faussement modeste. Outre Alain Ducasse, qui va fédérer les nouveaux talents de la cuisine française, des architectes et des designers réputés travaillent déjà. Didier Spade se livre à une petite séance de name dropping révélatrice: Jacques Garcia et Jean-Michel Wilmotte, Mathieu Lehanneur ou Patrick Jouin, Matali Crasset ou la designer Olivia Putman, qui reprend le flambeau de sa mère Andrée… La liste est d’autant plus longue que les idées originales ne manquent pas. Le paquebot disposera d’un spa de 1300 m2, de bars-salons suspendus dans les cheminées et offrant une vue sans obstacle sur la mer. Un autre bar, sous-marin celui-là, permettra aux passagers de se glisser dans la peau du capitaine Nemo. Une grande avenue centrale, sur le pont 6, donnera accès au casino, aux boutiques, à un bar à vins ouvert pour des dégustations ou des cours de cuisine, à une salle de spectacles…
Tout cela a un prix: autour de 350 millions d’euros. Mais là aussi, Didier Spade, a décidé d’être original. S’il a payé les premières études de faisabilité sur ses deniers personnels, il a aussi ouvert une émission d’obligations pour arriver jusqu’à la date emblématique de la construction. «Les propriétaires de ces obligations auront droit en priorité à des actions de la société propriétaire du France», soutient Didier Spade. Il explique: «Je souhaite ardemment que les Français s’approprient leur paquebot, et le montage financier prévoit que chacun puisse acheter des actions du France.» Au-delà du rêve, celui d’armer un nouveau paquebot de luxe battant pavillon français, l’exploitation du nouveau France doit être rentable. Le marché de la croisière se porte bien, croient savoir les spécialistes du secteur. Malgré la crise, il est même en croissance, attirant une nouvelle clientèle, notamment asiatique, sur le créneau du paquebot de luxe. Tout cela est de bon augure pour le jeune France, dont la construction doit débuter en 2013.
La vidéo: http://youtu.be/tbaCzG8m3Do
http://www.reconstruirelefrance.com/